Poésie de Eugène Lissillour intitulée : Le Port Saint-Hubert ( en Plouër )
- Vous lui accorderez un regard charitable
Du haut de ce grand pont qui l'écrase , et lui fait
Vibrer le flanc ouvert comme un énorme trait ,
Doutant qu'il fut jadis un Eden véritable !
- Doutant que ce château - la maison du péage -
Ce survivant qui est un grand sacrifié
Fut le plus remarquable et le plus envié ,
La fleur de notre Rance , et l'orgueil du village !
" Gibraltar " est son nom , il y a ving ans même
Il le portait toujours des plus allégrement ,
Commandant le détroit de son enceinte blème ,
Comme celui d' Espagne , et moins farouchement .
- Alors , le vieux passeur hélé d'un bord à l' autre ,
Tantôt de de Port Saint-Jean , tantôt de Saint-Hubert ,
Faisait une navette - assez rude en hiver -
Pour quelques pauvres sous ou quelque vile épeautre . ( 1 )
- On y vivait sans bruit , l' ambition funeste
N'avait pas dévoyé ces coeurs naifs et droits ,
Et les moins dégourdis et les plus maladroits
Avaient de bonne grâce , aide , gîte et le reste .
- C'était en quelque sorte une grande famille ,
Un clan , où l'homme était ( bon comme le bon pain ) ,
A peine eut-il osé tuer quelque lapin
Sans faire part à Jean , Pierre , et Pétronille .
- C'était le joyeux temps des " vapeurs " touristiques :
" Bretagne - Formosa - Duguesclin - Saint-Malo "
Qu'on venait voir passer , debout au bord de l'eau
Ou sur le haut sommet des falaises stoïques .
( 1 ) Je dois noter que mon aïeul maternel " Louis Mettrie " , marin retraité de la grande pêche , tint longtemps ce passage qu'il fallait souvent faire la nuit à cette époque , à cause de certains petits marchands de la contrée qui se rendaient pédestrement , très tôt , à des foires souvent éloignées , ou en revenaient très tard - ce qui n'était ni agréable , ni sûr l'hiver , ou en période de fortes marées -
( 2 ) Rustique , mais coquette maison bâtie au bas du village du Port Saint-Hubert , face à la grille du château " des champs Joly " , à bord de route , avec un " perron " de pierres dominant la vallée . La partie basse de de cette maison - en réalité deux maisons réunies - était couverte en chaume , la partie haute en coquilles Saint-Jacques ( Ricardeaux , selon le nom du pays ) .
( 3 ) Il ne reste actuellement qu'une partie du coquet jardin , derrière la maison , mais indépendant d'elle , et du " clos gangnard " qui le bordait . La route du pont les coupe par le travers ; un chemin qui les divise dans le sens de la longueur , vers l'entrée du château des champs Joly , achêve de les rendre méconnaissables .
La maison de mon aïeul était sans étage , elle n'existe plus , ayant été vendue , et rebatie à étages suivant la conception moderne .