Le Vieux Pont , encore un prétexte pour l'inspiré poète Dinannais Eugène Lissillour habitant du quartier , qui nous a laissé cette poésie :
Le Vieux Pont ( 1 )
- C'est un quartier rustique , aimable et pittoresque ;
On y trouve bien sûr des êtres cancaniers ,
Même comme partout , de vilains chicaniers ,
Mais on n'y peut encore souffrir en paix ou presque .
- Voilà quinze ans passés que j'y berce mes songes ,
Quinze ans de dur labeur et de stupide ennui ,
Quinze ans de crépuscule , autant dire de nuit ,
Quinze ans de servitudes et d'effrontés mensonges ( 2 ) .
Malheur à qui n'a pas bien ordonné sa vie . . .
On ne la refait pas au gré des passions ,
Il faut se méfier des sombres actions ;
L'homme aspire au plaisir et le Diable convie !
La guerre fratricide ( 3 ) , un ministre stupide ,
Sans raison légitime et sans nécessité ,
Ont permis qu'on mutile avec sérénité
Le " Vieux Pont " ( 4 ) réfléchi dans la Rance limpide .
- Une arche , que l'effort des centaines d' années ,
Un trafic intensif , n'avait pu affaiblir
Avec l' acharnement qu'on met à démolir
Lui fut ôtée hélas ! en moins de vingt journées .
Malgré ce vandalisme il garde belle allure ,
Et , le peintre amateur , et celui de talent ,
Viennent d'un pinceau ferme , inhabile , ou tremblant
Brosser ce bloc lépreux que l'été transfigure .
- Artiste malgré tout , sans réserve il admire ,
Le " Talard " ( 5 ) est le lieu de prédilection
D'où , des heures durant , son obstination
Le prend complaisamment pour tendre point de mire .
- Détaché sur un fond de toits gris et de roches ,
Il semble un pur bijou dans un superbe écrin ,
Un chef d'oeuvre jailli sous un ardent burin ,
Une attestation du bon vieux temps des coches .
- A droite , reliant la terre paysanne
Au seuil de la cité au port majestueux ,
Le Viaduc élégant autant que monstrueux
A gauche , les remparts et le beau château " Ganne " . ( 6 )
- Retournons-nous , là haut voici les " Combournaises " ( 7 )
Plus loin le " Saut à l' âne " et sur l'autre versant
" Les Salles " ( 9 ) , près de nous , au bord du flot glissant
" Les Clos " ferme modèle à la mode française . ( 10 )
- - C'est un pur oasis , où l'étranger volage
Atteint d'une bougeotte irrésistible hélas ,
Baigne bien volontier son esprit jamais las
De ce parfum troublant qui monte d'un autre âge .
Eugène Lissillour . Dinan le 23 octobre 1929 .